Salle 512bis (Lattice, 1 rue Maurice Arnoux, 92120 Montrouge)
En visio : https://www.gotomeet.me/visio-lattice
Horaire : 10h30-12h.
Titre : Proposition d’analyse sémantique du passif périphrastique en français
Intervenant : Pierre Jalenques, Université de Rouen
Résumé :
Nous nous intéressons aux propriétés de la construction passive en français, construction appelée parfois passif périphrastique (cf. Gaatone, 1998 ; Helland, 2002), comme dans un suspect a été arrêté par la police.
Selon la conception la plus courante, « [l]es constructions passives ne modifient pas le sens dénotatif de la phrase, et leur fonction la plus générale se situe au niveau discursif » (Creissels, 2006, p. 45). Dans cette perspective, le passif en français serait synonyme de la construction dite active.
Il est indéniable que l’usage du passif est lié à des phénomènes d’ordre pragmatico-discursif, tels que la progression thématique d’un texte, etc. Cependant, on peut faire l’hypothèse que le passif a également une dimension sémantique et qu’il n’est donc pas synonyme de l’actif. Cette hypothèse est fondée sur des données généralement marginalisées dans l’étude du passif, à savoir ses contraintes distributionnelles par rapport à l’actif. Par exemple, le verbe polysémique arrêter est passivable dans certains emplois (cf. l’exemple ci-dessus), mais pas dans d’autres (Marie a arrêté la cigarette à 50 ans / ?? la cigarette a été arrêtée par Marie à 50 ans).
De même, le verbe abandonner est passivable dans certains emplois (la direction d’Air France a abandonné ce projet / ce projet a été abandonné par la direction d’air France), et pas dans d’autres (cette élève a abandonné l’école / ? l’école a été abandonnée par cette élève). De même encore, le verbe faire est passivable dans des enfants de Rouen ont fait ces dessins / ces dessins ont été faits par des enfants de Rouen, mais plus difficilement dans ma voisine a fait des études de droit / ?? des études de droit ont été faites par ma voisine. Plusieurs facteurs ont été proposés dans la littérature pour expliquer ces contraintes (faible transitivité, emploi figuré, caractère plus ou moins figé, etc.). Gaatone (1998) montre que ces différents facteurs ne marchent pas et conclut que ces lacunes distributionnelles doivent être considérées comme des idiosyncrasies lexicales, indépendantes des propriétés du passif.
Une analyse systématique de ces contraintes distributionnelles montre pourtant qu’elles sont sémantiquement régulières (cf. Jalenques, 2015). Dès lors, elle manifestent un différentiel sémantique entre le passif et l’actif. Nous avons proposé d’expliquer ce différentiel à partir d’une analyse sémantique compositionnelle du passif, fondée sur les propriétés du verbe être et celles du participe passé (Jalenques, 2017). Nous admettons ainsi que être n’y a pas un statut d’auxiliaire mais correspond au verbe de la relation attributive. Cette dernière hypothèse se retrouve chez plusieurs auteurs (cf. Zribi-Hertz et Abeillé, 2021). Le statut du verbe être au passif (copule ou auxiliaire) demeure controversé et se trouve contesté dans deux travaux récents sur le passif (Muller 2017 et Druetta 2020).
Nous proposons de reprendre les différents éléments de ce débat, combinant les aspects morphologique, syntaxique et sémantique du passif, confirmant l’hypothèse selon laquelle l’élément être au passif périphrastique correspond au verbe être de la relation attributive.
Références citées
Creissels D. (2006) : « Passif et autres mécanismes de destitution du sujet », dans Syntaxe générale. Une introduction typologique, D. Creissels, vol. 2, Paris : Lavoisier, 43-57.
Druetta R. (2020) : « Le passif à l’oral. Phénoménologie et propriétés aspectuelles dans OFROM », Studia linguistica romanica, 4, 150-174.
Gaatone, D. (1998) : Le passif en français, Paris / Bruxelles : Duculot.
Helland H. P. (2002) : Le passif périphrastique en français moderne. Museum Tusculanum Press.
Jalenques P. (2015) : « Le passif en français et les lacunes distributionnelles des verbes. Proposition d’analyse sémantique invariante », Corela, 13 (1), http://corela.revues.org/4015
Jalenques P. (2017) : « Le passif en français est-il une construction, au sens des grammaires de Construction ? », Langue française, 194, 33-50.
Muller C. (2017) : « Imperfections et lacunes des passifs du français », Éla. Études de linguistique appliquée, 187, 283-296.
Zribi-Hertz A. et Abeillé A. (2021) : « La construction passive », dans La grande grammaire du français, A. Abeillé & D. Godard (dirs.), Arles : Actes Sud.