Dans cette opération, axée sur les constructions verbales, trois directions seront explorées : (a) l’une est centrée sur l’étude des mécanismes de grammaticalisation, de lexicalisation et de constructionalisation de l’expression du don et du transfert, (b) la seconde s’attache à la question des périphrases verbales, (c) la troisième s’intéresse aux transferts de sens d’un domaine sémantique à un autre. Ces études seront menées dans le cadre de la grammaire cognitive et des grammaires de construction :
(a) Dans les années passées, nous avons développé des travaux sur l’expression du don et plus particulièrement sur le verbe donner dans une dizaine de langues de familles différentes. Nous avons abordé la question de la polysémie (construction de don > construction de transfert), nous avons également abordé la question de la polyfonctionnalité (notamment la forme gei en chinois ou aoj en khmer). Enfin, nous nous sommes interrogés sur le phénomène particulier d’énantiosémie (termes polysémiques dont au moins deux des sens sont des antonymes que présentent certains synonymes de donner (cf. Legallois 2012)). Ancrées dans la perspective de la linguistique cognitive (dans la lignée des travaux fondateurs de Langacker (1987, 1991)) et en particulier des grammaires de constructions (Goldberg 1995), ces études ont montré que le transfert associé au DON se caractérise par le fait qu’il est asymétrique. Il implique plusieurs actants (la Source du transfert, la Cible du transfert, l’Objet du transfert), mais aussi une direction orientée de la source vers la cible qui implique une causativité.
Le programme de recherche de cette opération entend développer pour d’autres langues l’étude des constructions de don en lien avec l’expression de la causativité. Nous chercherons à montrer comment cette dimension sémantique de la causativité peut permettre d’expliquer notamment le changement de fonction (polyfonctionnalité) de la forme verbale donner dans certaines langues. Par exemple, en français la forme (donner/(variation) doner/duner) évolue en diachronie vers un usage comme semi-auxiliaire de causation donner Vinf équivalent à faire causatif (ex : donner à faire/faire faire) ou permissif (ex : donner à voir/ faire voir /laisser voir) (cf. Gougenheim 1929 : 336). On s’attachera à observer si de semblables évolutions ont lieu dans d’autres langues (par exemple en khmer (aoj), en kurde (dan), en roumain (da)), ou dans des langues en contact comme le bru, le kri, et le saek, (en collaboration avec M. Lutz-Hughes langues et N. Enfield de l’Université de Sydney).
(b) Toujours dans la perspective de la grammaire cognitive, et celle d’un continuum entre lexique et grammaire, la notion de périphrase verbale (Gosselin 2010) sera étudiée dans plusieurs langues : périphrases verbales de causation en français dans une perspective diachronique (M. Bouveret) (‘ex. faire / laisser / mettre VInf), périphrases d’aspect en chinois (D. Zhang) (ex. yao + V) et périphrases verbales de temporalité en français et en anglais (M. Laplanche) (ex. take VInf). Le modèle SDT (Sémantique de la Temporalité, Gosselin 1996) sous-tend la méthodologie d’analyse de ces travaux.
(c) Seront également explorées la question du transfert d’un domaine sémantique à un autre, et les relations sémantiques de synonymie. Nous nous pencherons en particulier sur la classe des verbes de séparation en français et en anglais. La méthodologie utilisée repose sur les concepts de frames et constructions (Fillmore 1982, Goldberg 1995, Sullivan 2013, Dancygier and Sweetser 2014, Bouveret et Sweetser 2009).