Opération 2 : Construction du sens lexical en contexte

Cette opération est consacrée aux relations entre plusieurs catégories morpho-syntaxiques, appréhendées d’un double point de vue complémentaire : d’une part les relations (syntagmatiques) de compatibilité – en particulier entre noms et verbes ou entre verbes et prépositions ; d’autre part, les relations (paradigmatiques) de dérivation – en particulier les relations entre les noms et les verbes (déverbaux, dénominaux et converses).

Cette opération est consacrée aux relations entre plusieurs catégories morpho-syntaxiques, appréhendées d’un double point de vue complémentaire : d’une part les relations (syntagmatiques) de compatibilité – en particulier entre noms et verbes ou entre verbes et prépositions ; d’autre part, les relations (paradigmatiques) de dérivation – en particulier les relations entre les noms et les verbes (déverbaux, dénominaux et converses).

Du côté des relations syntagmatiques, il s’agit d’étudier les compatibilités syntaxiques et sémantiques entre un élément lexical dont on veut caractériser le sens, souvent polysémique, et un autre élément co-occurrent contribuant à la délimitation du sens en contexte. Cette approche suppose une réflexion sur la contribution respective des unités en interaction et sur les différents degrés de lexicalisation qu’elles peuvent entretenir.

Plus particulièrement, nos travaux se concentreront sur les interactions entre certains verbes et les noms et/ou les prépositions qui les accompagnent :

(i) les verbes support de stativité (éprouver / ressentir + N), les verbes supports d’événementialité avoir lieu, et se produire + nom d’événement.

(ii) les verbes de déplacement. Il s’agira plus exactement d’identifier comment certaines propriétés lexicales des verbes et des noms déterminent la possibilité de certaines représentations d’un événement spatial, avec changement de relation de localisation ou sans changement de relation. Seront également étudiés les contextes favorisant une interprétation statique de verbes dynamiques (i.e. mouvement fictif) et plus généralement les extensions de sens à partir du sens spatial.

(iii) les verbes renvoyant à l’existence ((y) avoir, se trouver, se produire, avoir lieu,) ou à ses phases (émerger, se faire jour, se dessiner, … ; se poursuivre, se prolonger, se conserver, se maintenir, … ; se terminer, prendre fin, disparaître,) et les noms simples ou complexes désignant les entités (objet, évènement, propriété) dont on prédique l’existence. On s’attachera tout particulièrement à décrire le filtrage mutuel entre noms et verbes, qui permet de mettre en évidence les relations de quasi-synonymie ou de non-synonymie entre certains verbes d’existence en contexte (ex : La langue basque s’est maintenue / s’est conservée dans cette région ; L’état de santé du patient se maintient / * se conserve), ainsi que la polysémie de certains noms (ex : L’anomalie a eu lieu lors de la première division de méiose = événement / Cette anomalie s’observe très fréquemment chez les chats de race bobtail japonais = objet). Ce travail s’inscrit dans le cadre du projet TRANSIL (dirigé par Catherine Fuchs) de l’EUR Translitterae de l’ENS. Il donnera lieu à une journée d’étude Conscila sur la synonymie verbale (octobre 2020) et à la publication (courant 2020 chez Ophrys) d’un manuel intitulé « Lexique raisonné du français académique » rédigé par Catherine Fuchs et Sylvie Garnier (université de Chicago à Paris).

(iv) Enfin, dans cette perspective syntagmatique, seront également menés des travaux lexicographiques (dictionnaire français de Furetière, dictionnaires de langues océaniennes) qui nous donneront l’occasion d’observer l’émergence de la polysémie.

Du côté des relations paradigmatiques, on étudiera les passages d’une catégorie grammaticale à une autre (noms déverbaux, noms désadjectivaux et verbes dénominaux). Le but sera de caractériser en contexte l’héritage sémantique qui se produit lors de ces passages. Les types de procédés morphologiques utilisés (dérivation, composition, conversion) seront pris en compte dans la description des lexèmes construits, notamment pour décrire les phénomènes de polysémie, de multi-typage (ou facettes) et d’homonymie. On réalisera notamment une annotation sémantique des divers types de noms déverbaux en contexte permettant de définir leur polysémie ontologique (objet / événement / propriété) et leur polysémie aspectuelle (événement télique / événement atélique / état).

Les déverbaux dérivés de verbes de mouvement transitifs (atteindre, traverser) et intransitifs (arriver, partir, se promener) feront l’objet d’une étude spécifique. D’un point de vue morpho-syntaxique, on étudiera la relation entre les propriétés spatiales du verbe, sa structure argumentale, sa propension à accepter la nominalisation (arriver > arrivée, arrivage mais quitter > *quittée, *quittage), et la ou les interprétation(s) qui en résulte(nt) (arrivée / arrivage ; montée / montage). On étudiera la conservation de la structure argumentale dans la nominalisation (Jean arrive à Paris > l’arrivée de Jean à Paris ; Jean atteint le sommet > l’atteinte du sommet – par Jean), en s’efforçant de faire émerger les contraintes de saillance informationnelle associées aux arguments conservés dans la nominalisation. On étudiera enfin la combinatoire entre l’élément nominalisé et son premier complément régi (la traversée du désert > du siècle) en cherchant à caractériser les mécanismes qui permettent ou bloquent les extensions de sens de l’espace vers d’autres domaines.

Sera également étudié, notamment dans la perspective de la métaphore grammaticale de Halliday, le rapport qui existe entre certaines constructions transitives qui apparaissent marquées et d’autres qui ne le sont pas. Par exemple, on peut dire que les énoncés :

Trente santons en papier recyclé peuplent la crèche évolutive

Une boîte de chocolats orne la table de nuit

sont chacun en rapport avec une forme plus « congruente » exprimant directement la localisation (il y a 30 santons dans la crèche / il y a une boite de chocolat sur la table). Parfois, la forme congruente semble défective. On trouve des énoncés du type :

le Pô arrose / borde / traverse la ville de Turin >

* il y a le Pô à Turin

qui ne peuvent être exprimés par une structure locative / existentielle élémentaire.

La réunion et le croisement des points de vue syntagmatique et paradigmatique évoqués ci-dessus constituent une étape nécessaire pour mieux comprendre la complémentarité des noms et des verbes, et – objectif ambitieux et à long terme – pour jeter les bases d’hypothèses possibles sur les critères de sélection entre noms et verbes dans le discours par les locuteurs.

Opération 3 : genre et lexique des langues romanes

Dans cette opération, nous développons quatre volets : le point de vue historique et social ; les politiques linguistiques et l’usage ; les langues romanes et l’écriture inclusive ; la dimension francophone.

Le Moyen Âge féminisait quasiment toutes les professions des femmes (en –esse majoritairement), puis ces formes ont disparu sous le coup d’un mouvement dit de « masculinisation ». Avant le XVIIIe siècle, on pouvait dire : autrice, chercheuse, entrepreneuse… Aujourd’hui, on observe une « re-féminisation » comme dans auteure, chercheure, entrepreneure… Laquelle de ces formes l’usage va-t-il retenir ? Une forme déjà existante au Moyen Âge, ou bien une forme nouvelle, un néologisme ? Mais, en fait, entre « masculinisation » et « re-féminisation » de la langue française, qu’en disent les corpus ? La langue française a-t-elle vraiment été masculinisée de façon planifiée ?

En matière de politique linguistique, la question de savoir si un mot doit sa légitimité, dans le patrimoine lexical d’une langue, à la norme qui l’impose, ou bien à l’usage qui l’implante, est cruciale. Depuis les années 1980, la politique de « féminisation » des noms de métiers accompagne celle en faveur de l’égalité hommes / femmes. Le nombre de mesures, réitérées, montre que les recommandations officielles tardent à s’appliquer. Il faut sans doute aussi observer d’autres pays (la Catalogne, l’Italie, l’Argentine, par exemple) pour comprendre les débats et les passions soulevés par cette question et prendre la mesure des difficultés que rencontre toute politique d’aménagement linguistique.

À l’interface de ces points de vue, se pose la question du genre dans les langues romanes : l’écriture inclusive peut-elle se lire comme une recherche d’indiscrimination du genre ? Observe-t-on aujourd’hui l’émergence d’un genre neutre ? Quelle légitimité l’écrivain, ou l’écrivaine, a-t-il, ou a-t-elle dans ce débat ? Par sa capacité à créer des mots nouveaux, exprimant des situations agenres, l’écriture littéraire est aussi, sans doute, susceptible d’augmenter la langue et de la faire évoluer.

Sur la question de la féminisation des noms de métiers, titres et fonctions, et au-delà, sur le langage inclusif, l’espace linguistique francophone le plus souvent convoqué est celui qui réunit la Belgique, la Suisse et le Québec, pour marquer le retard du « français de France » avec, en ligne de mire, la dénonciation du conservatisme de l’Académie française. Mais, sur cette question, qu’en est-il d’un espace francophone élargi à l’Afrique ? Si tant est qu’un tel espace existe, il n’est jamais convoqué, ou très peu (voir les travaux de Martin Pleško depuis 2015), parce que l’on considère sans doute que, tout d’abord, le « français d’Afrique » épouse le « français de France », c’est-à-dire qu’il s’en tient à la norme de l’Académie française (et de son Dictionnaire) ; et ensuite, que le français d’Afrique ne connaît sans doute pas une évolution qui lui est propre sur cette question de la féminisation, dans l’usage. Pourtant, si l’on part d’un certain principe de réalité, à savoir que chaque pays africain francophone a une pratique du français s’inscrivant au sein d’un espace linguistique complexe, et le plus souvent multilingue au Rwanda, l’anglais, le français et le kinyarwanda ; au Sénégal, le français et vingt-deux langues nationales , il semble important de commencer par mettre le projecteur sur la réalité d’un seul pays.

Par exemple, qu’entend-on par « français du Sénégal » ? Quelles distinctions entre écrit et oral, entre discours écrit dans la presse et discours écrit dans les documents administratifs ? Quelle opposition entre le français des médias et, de façon générale, celui des « intellectuels » ? Quelle influence l’oralité d’une langue comme le wolof majoritaire au Sénégal qui ne connaît pas l’opposition de genre, a-t-elle sur le français ? Par exemple, on observe que là où le français de France dira « femme sergent » (ou sergente), en français du Sénégal on dira « sergent femme », un calque parfait de la pratique en langue wolof où, lorsque l’on veut spécifier que la fonction est occupée par une femme, on postpose à la profession le nom « femme » (jigeen), contrairement au français qui antépose (femme flic, femme médecin, femme officier, etc.).

Au cours de ce quinquennal, nous porterons une attention particulière à l’étude du marquage du genre dans l’usage (féminisation des noms de métiers, langues inclusives), en français de France mais aussi dans l’espace francophone, en particulier africain.