Dans cette opération, nous développons quatre volets : le point de vue historique et social ; les politiques linguistiques et l’usage ; les langues romanes et l’écriture inclusive ; la dimension francophone.
Le Moyen Âge féminisait quasiment toutes les professions des femmes (en –esse majoritairement), puis ces formes ont disparu sous le coup d’un mouvement dit de « masculinisation ». Avant le XVIIIe siècle, on pouvait dire : autrice, chercheuse, entrepreneuse… Aujourd’hui, on observe une « re-féminisation » comme dans auteure, chercheure, entrepreneure… Laquelle de ces formes l’usage va-t-il retenir ? Une forme déjà existante au Moyen Âge, ou bien une forme nouvelle, un néologisme ? Mais, en fait, entre « masculinisation » et « re-féminisation » de la langue française, qu’en disent les corpus ? La langue française a-t-elle vraiment été masculinisée de façon planifiée ?
En matière de politique linguistique, la question de savoir si un mot doit sa légitimité, dans le patrimoine lexical d’une langue, à la norme qui l’impose, ou bien à l’usage qui l’implante, est cruciale. Depuis les années 1980, la politique de « féminisation » des noms de métiers accompagne celle en faveur de l’égalité hommes / femmes. Le nombre de mesures, réitérées, montre que les recommandations officielles tardent à s’appliquer. Il faut sans doute aussi observer d’autres pays (la Catalogne, l’Italie, l’Argentine, par exemple) pour comprendre les débats et les passions soulevés par cette question et prendre la mesure des difficultés que rencontre toute politique d’aménagement linguistique.
À l’interface de ces points de vue, se pose la question du genre dans les langues romanes : l’écriture inclusive peut-elle se lire comme une recherche d’indiscrimination du genre ? Observe-t-on aujourd’hui l’émergence d’un genre neutre ? Quelle légitimité l’écrivain, ou l’écrivaine, a-t-il, ou a-t-elle dans ce débat ? Par sa capacité à créer des mots nouveaux, exprimant des situations agenres, l’écriture littéraire est aussi, sans doute, susceptible d’augmenter la langue et de la faire évoluer.
Sur la question de la féminisation des noms de métiers, titres et fonctions, et au-delà, sur le langage inclusif, l’espace linguistique francophone le plus souvent convoqué est celui qui réunit la Belgique, la Suisse et le Québec, pour marquer le retard du « français de France » avec, en ligne de mire, la dénonciation du conservatisme de l’Académie française. Mais, sur cette question, qu’en est-il d’un espace francophone élargi à l’Afrique ? Si tant est qu’un tel espace existe, il n’est jamais convoqué, ou très peu (voir les travaux de Martin Pleško depuis 2015), parce que l’on considère sans doute que, tout d’abord, le « français d’Afrique » épouse le « français de France », c’est-à-dire qu’il s’en tient à la norme de l’Académie française (et de son Dictionnaire) ; et ensuite, que le français d’Afrique ne connaît sans doute pas une évolution qui lui est propre sur cette question de la féminisation, dans l’usage. Pourtant, si l’on part d’un certain principe de réalité, à savoir que chaque pays africain francophone a une pratique du français s’inscrivant au sein d’un espace linguistique complexe, et le plus souvent multilingue au Rwanda, l’anglais, le français et le kinyarwanda ; au Sénégal, le français et vingt-deux langues nationales , il semble important de commencer par mettre le projecteur sur la réalité d’un seul pays.
Par exemple, qu’entend-on par « français du Sénégal » ? Quelles distinctions entre écrit et oral, entre discours écrit dans la presse et discours écrit dans les documents administratifs ? Quelle opposition entre le français des médias et, de façon générale, celui des « intellectuels » ? Quelle influence l’oralité d’une langue comme le wolof majoritaire au Sénégal qui ne connaît pas l’opposition de genre, a-t-elle sur le français ? Par exemple, on observe que là où le français de France dira « femme sergent » (ou sergente), en français du Sénégal on dira « sergent femme », un calque parfait de la pratique en langue wolof où, lorsque l’on veut spécifier que la fonction est occupée par une femme, on postpose à la profession le nom « femme » (jigeen), contrairement au français qui antépose (femme flic, femme médecin, femme officier, etc.).
Au cours de ce quinquennal, nous porterons une attention particulière à l’étude du marquage du genre dans l’usage (féminisation des noms de métiers, langues inclusives), en français de France mais aussi dans l’espace francophone, en particulier africain.