Cela tient pour une large part à une prise en compte encore insuffisante de la variation. Source reconnue des changements (tout changement diachronique débute par une variation en synchronie), la variation, bien plus répandue en français médiéval qu’en français moderne, doit être envisagée dans une double dimension, interne (contextes intra-linguistiques) et externe (domaine, forme, dialecte, registre, …). Seule la prise en compte de données massives et variées permettra de l’appréhender dans ses différents aspects. L’existence de ressources enrichies pouvant faire l’objet d’un traitement en partie automatisé (Syntactic Reference Corpus of Medieval French, 9e-13e siècles), et leur augmentation future (1 million de mots) dans le cadre du projet ANR Profiterole, ouvre de nouvelles perspectives pour une meilleure prise en compte des faits de variation.
L’histoire du français se caractérise par la simplification progressive des désinences nominales et verbales, ainsi que des options de combinaison des constituants majeurs. Ce sont les aspects de ce processus de spécialisation qu’il s’agit d’explorer dans le cadre du prochain quinquennal. Les premiers résultats d’une approche statistique fondée sur un large corpus (Simonenko, Crabbé et Prévost 2015, 2017 et soumis) ont montré qu’il existe une corrélation partielle entre les changements morphologiques et syntaxiques, ce qui ne signifie pas qu’un jeu de stricte causalité ait joué.
En couplant une approche variationniste à des analyses statistiques et en combinant approche quantitative et approche qualitative fondées sur un large corpus, on analysera la réduction progressive des 6 combinaisons de S, V et O originellement attestées en français (bien que dans des proportions variables) à une combinaison désormais dominante, au moins dans les déclaratives : SVO. Cela exige une analyse conjointe de la systématisation progressive de l’expression du sujet. Sur ce dernier point, les résultats précédemment acquis serviront de base à la prise en compte des différents facteurs (externes: forme, domaine, … ou internes: type de propositions, présence d’autres arguments, mode d’énonciation, …) qui semblent intervenir pour la restructuration générale de l’ordre des mots, dans des proportions qui restent à évaluer. Il conviendra aussi d’établir le rôle exact (cause ? adjuvant ?) dans les différentes reconfigurations à l’œuvre de l’appauvrissement morphologique qu’a connu le français.
On s’intéressera par ailleurs à l’évolution de l’ordre de l’objet direct et du complément (objet indirect) dans les constructions ditransitives en français médiéval, recherche inédite pour cette période. Il s’agit de mettre au jour les ordres préférentiels et d’identifier les facteurs influençant l’ordre relatif des compléments du verbe, et ce dans une perspective comparative (date, genre, forme des textes). La démarche s’inspirera de l’approche multidimensionnelle et statistique de (Thuilier 2012) pour le français moderne. Les résultats seront comparés à ceux de cette même étude, mais aussi à ceux obtenus pour l’anglais moderne (Bresnan et Ford 2010).