Résumé :
Le système verbal du français, pris dans toute son étendue – en tenant compte des formes simples, composées, surcomposées et périphrastiques – se signale par une double caractéristique : 1) il offre une très grande diversité de formes, 2) certaines de ces formes donnent lieu à une étonnante pluralité d’effets de sens différents selon leurs contextes d’emploi. Et c’est un véritable défi pour le grammairien que d’expliquer à la fois comment s’organise cette multiplicité de formes au plan morphosyntaxique, et comment leurs significations se structurent pour donner lieu à une variété extrême d’effets de sens en contexte, tous au moins partiellement différents les uns des autres.
Dans cette entreprise, la notion d’aspect, et plus précisément d’aspect grammatical joue un rôle essentiel. Or le champ de l’aspectologie en linguistique générale est actuellement divisé en deux ensembles (cf. Sasse 2002) : les tenants d’une conception unidimensionnelle de l’aspect, et les partisans d’une conception bidimensionnelle. Selon l’approche unidimensionnelle, l’aspect grammatical est de même nature sémantique que l’aspect lexical. L’aspect grammatical vient seulement confirmer ou modifier le type de procès préalablement calculé à partir du syntagme verbal. A l’inverse, la conception bidimensionnelle dissocie deux composantes aspectuelles au plan sémantique. Alors que le groupe verbal exprime un procès d’un certain type (aspect lexical), le temps verbal (aspect grammatical), en relation avec divers éléments du contexte qui peuvent en contraindre la signification, marque une visée aspectuelle, qui consiste à montrer tout ou partie du procès, délimitant ainsi un intervalle de visibilité sur lequel va porter l’assertion (si l’énoncé est assertif).
Le présent exposé proposera, dans le cadre d’une approche bidimensionnelle de l’aspect en français, une définition, une modélisation et une typologie des différentes visées aspectuelles (y compris celles qui sont exprimées par des formes périphrastiques). Nous montrerons ensuite comment et pourquoi le choix d’une visée aspectuelle a des conséquences décisives sur les conditions de vérité des énoncés et donc sur les informations qu’ils transmettent dans le discours.